Page:Monet - Invantaire des deux langues - 1635, A-C.djvu/15

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AU LECTEUR
Si l’orthographe vulgaire est plus à propos, que celle de ce Livre, aus<br /> aprantis de la langue, & domestiques, & etrangers.

LEs habitudes contractées par voie de discours ne nous echapent pas aisémant, pource que les raisons, qui les ont imprimées, an conservent la continuation. Mais celles, qui par seule usance, & routine, ont saisi, & usurpé la possession des facultez de lame, & du cors, sont d’ordinaire eterneles, comme fondées au droit de coutume immuable, quoi que fort contraires à l’equité, & bienseance. Toute ma vie i’ai fait experiance de cete verité, mais particulieremant an matiere de cete orthographe, depuis onze ans, & des la premiere edition de mon Parallele des deus langues. Dés lors qu’il a commancé à voir le iour, on ne cesse point, de me donner advis, & me solliciter, de divers quartiers de France, que ie me deporte de cete nouvelle maniere d’écriture, & que ie me conforme à la plus ordinaire, & vulgaire. Et, à ces fins, quasi tous me chantent le meme, qu’il est beaucoup plus seant, de parler, & ecrire, comme le general de la nation, que comme certains particuliers : & qu’il est fort à propos, & ancore necessaire, de conserver l’origine des mots de notre langue, tirée du Latin : ce qui se fait an pratiquant l’orthographe vulgaire : & au rebours, l’etymologie s’an perd, & abolit du tout, par cete moderne façon d’écrire.

Mais les etrangers d’autre part, comme les Italiens, Alemans, Anglois, Flamans, Ecoçois, pratiquans la France, & curieus de son langage, me conjurent fort, & de bouche, & par letres, de çontinuer la forme d’ecriture, qui les soulage grandement, à se preualoir de notre langue : & les afranchir de grans equivoques, an la prolation des mots de cet idiome.

Ils me represantent l’equité du dessein, que i’ai eu, lors de ma premiere edition du Parallele, de suppléer à l’incapacité de la tandre ieunesse de ce Roiaume, & de meme, à celle des personnes de dehors, qui cherchent, & aprenent les mots François, dans les Dictionaires, & les desirent au meme ton, que tousiours on les leur iete dans l’oreille : lesquels mots, & an ce ton, ils ne peuvent reconnoitre, dans les Livres de vulgaire orthographe : mais, dans mon Parallele, & Invantaire, ils les decouvrent d’abord, & expedient soudain leur besogne avec egal plaisir, & profit.

Leur demande est fort civile, & equitable, an ce qu’ils requierent d’etre secourus, an un cas de necessité, dont ils ne sçauroient se demeler d’eus memes. Ils sont ancore d’autant plus dignes d’assistance, qu’ils ne demandent cete faveur, qu’à ceus, qu’ils ont experimantés, deia portés de leur gré, à les relever de peine, & ce, sans preiudice, ni du particulier, ni du public : Car ils n’importunent pas aucun des autres Ecrivains de France, de se ranger à leur defectuosité : mais sçavent gré à ceus, qui les assistent de plein mouvemant, & les font profiter, dans peu de iours, an l’aprantissage de notre langue.

Et qui peut nier, que ce ne fut une espece de tyrannie, de les vouloir forcer pour son plaisir, à une peine insupportable, & impossilité eternele, de se faciliter le vrai moien d’arriver à cete langue, an les privant de toutes les adresses, qui leur an fournissent l’aisance ? Mais, sous un beau pretexte, de conserver antiers les vieus droits de son idiome natal, n’est-ce pas lui faire un tres-grand tort, an ce, qu’etant fort recherché de l’etranger, à cause de sa douceur, naïveté, richesse, bonne grace, varieté, par cete maxime sans fondemant, de l’ecriture ordinaire, & triviale, on le rand presque inaccessible, ou du moins, de fort difficile, mal-gracieus, & tres-long aprantissage ?

Ce sera donques, MESSIEURS, qui m’avez maintefois parlé, fait parler, ecrit, sollicité, an cete matiere ; ce fera, dis-ie, avec votre courtoise permission, que ie coucherai sur ce papier, les causes, qui m’obligent, de gratifier aus plus ieunes aprantis des lettres, an ce roiaume, & aus etrangers, amoureus du langage Gaullois, an continuant de leur parler, de meme ton, que ci devant.

Or il est seant, & raisonable, que vous supportiés, & approuviez tout-ansamble, mon procedé, &, an ce nommémant, que ie ne dogmatise point, sur cete matiere, & ne donne aucun signe de pretandre, que chacun doive ecrire, comme ie fais an ce suiet. Au contraire, ie demeure tres-contant, que tous les autres suivent à iamais, ce qui leur paroit plus convenable.

Ie repondray doncques aus rairons, qu’on m’a opposées, & à quelques autres, qu’on pourroit former contre mon dessein, & apres ce, ou an meme tams, i’etablirai les fondemans, qui m’angagent à faire ferme an mon antreprise : & ce, non pour autre consideration, que du bien de plusieurs particuliers, hors du desavantage du public, ni de personne qui soit. Et, au partir de mes defanses, & de l’etablissemant de mon droit, ie ferai des instances à mes adversaires, an matiere des langues, Greque, Latine, Gaulloise, toutes farcies du mepris de cete superstitieuse Etymologie, qu’on me preche tant, & leur ferai toucher au doit, par une infinité d’examples, que de toute ancienneté, an fait de langues la coutume des plus Doctes a amporté, de faire peu d’etat de ces originations etymologiques. Or voions las oppositions, qui me sont faites, an matiere d’orthographe Gaulloise.

3 3 I. Les