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AU LECTEUR

I Les anciennes, & generales coutumes, nommément de toute une grande nation, comme la Gaulloise, doivent etre observées de chaque particulier, an tout, & par tout, sans rien innover. Or la façon vulgaire d’ecrire an France, est une coutume de cete nature là, tout à fait universele, & de toute memoire.

Les Coutumes, comme purement, & simplemant Coutumes, ne sçauroient iamais se bien autoriser, si, outre cela, elles ne sont assorties de bonnes qualités, qui leur donnent force, & vigueur de loi. Que si, d’elles memes, elles se trouvent reprochables, pour quelque defectuosité essanciele, iamais dans la durée de tous les siecles, elles n’acquierent iuste titre de vraies Coutumes, mais retiennent tousiours la marque, la nature, & defectuosité de formel abus. Et à faute de cete deüe restriction, les plus enormes crimes, & directemant opposés à la loi de nature, generalement pratiqués iadis, & licitement selon le tams, au veu, & sceu de tout le monde, parmi beaucoup de nations, an suite de cete universele, & longue usance, auroient amporté la condition, & nature d’actions honnorables, & leur exercice ordinaire, le titre, & droit, de legitime, & loüable Coutume. Faites me voir, Messieurs, & clairement, que votre Coutume est née avec la raison, & bien-seance, & a continué avec ces nobles qualités, iuques à presant, & ie l’ambrasserai, sans iamais m’an equarter d’un travers d’ongle.

Or ie vous ferai advoüer, & à tout homme equitable, Que la coutume, d’ecrire autremant, qu’on ne prononce, de prononcer d’autre façon, qu’on n’ecrit, est erronée an soi, & reprehansible devant tous les hommes, qui an iugeront sans passion : &, qu’an suite de cete tare, fut elle plus vieille qu’Adam, elle dechet du droit de Coutume, & n’oblige point ceus qui s’an departent avec fondemant. Ne m’allegués donc plus de Coutume inveterée, si vous ne la faites paroistre mieus assortie de belles qualités essancieles, que celle-ci.

Votre Coutume est erronée, an ce qu’elle m’abuse perpetuelemant, & me tient an continuel equivoque, & erreur, quant à l’œil, à & l’oreille, portant à cete-ci ses paroles, d’un certain ton, dous, & intelligible, & à celui-là, d’une autre figure, & d’un son tout differant, comme pour se moquer de moi, & me faire lire sur le papier, ce qu’elle n’a pas dit, par sa langue ?

An tout autre langage, & pratique de parler, & d’ecrire, i’oi, & ie lis, les memes propos, fort conformes à eus memes, an chaque mot, & syllabe : & ce d’autant que, la fin de parler, & d’ecrire, est une meme fin, visant, à se faire bien, & egalemant antendre, an l’un, & l’autre de ces deus moiens à exprimer ses conceptions.

Repondés moi de grace, Messieurs, les François ont ils quelque grand avantage, à procéder autremant par leur ecriture, que les autres nations ? Vous ne sçauriez alleguer chose de consideration, qui les oblige, ou les conuie, à cete diuersité de s’expliquer par ecrit. Dirés-vous point, qu’ils ont raison, de le faire comme cela, pour rendre leur langue autant respectable, comme la difficulté est grande aus etrangers, d’accorder l’ecriture, avec la parole Françoise ? Croirés-vous pas, que les François ont beaucoup d’interest, à voir la perplexité, des Alemans, des Anglois, des Italiens, des Ecoçois, & des autres peuples, à se demeler de la lecture d’vn liure, ecrit an votre affecté vulgaire ? Le sujet de rire, qu’ils donnent à toute heure, an lisant nos liures, & an reportant, ce qu’ils an ont leu : le plaisir, que d’aucuns prennent, de les voir dans ces difficultés, est-ce point le butin, & le fruit du creu de cette langue, que les François se sont proposé, an l’observance de leur rigide Coutume ?

Vous me repartirés que i’ai beau opposer des inconuenians : mais que c’est la iuste Coutume de cete langue, & de toute ancienneté, & d’ainsi ecrire, & d’ainsi parler. Ie vous accorde, que c’est une Coutume, mais Coutume fort abusiue, & toute composée d’impertinences. Et vous ne sçauriez nier equitablemant, que cet abus Coutumier, ne soit fort preiudiciable, & aucunemant iniurieus à tous les peuples de dehors, & aus ignorans de France, comme ie viens de montrer, le dis de plus, que cete Coutume fait aussi grand tort, & à la langue Françoise, & à tous les François, & qu’an la pratique de cete opiniatre acoutumance, vous amploiés vos armes, pour vous offanser vous memes.

Et ie le montre euidammant : car, que me donnerés vous de plus indigne de la courtoisie Françoise, tant recommandée, & tant recherchée de toutes les nations etrangeres, que cete dissimilitude de parole, & d’ecrirure, dont l’une attrait doucement l’oreille, l’autre rabroüe mal plaisammant le regard : comme si cete ci defau oüoit aigrement, ce que cete là a fait courtoisemant, & par cete voie, donnoit à entendre à l’etranger, que cete courtoisie de front, & de bouche, n’est autre qu’vn faus masque ; & que la procedure, triste, & hargneuse, est le vrai naturel du François. Et il s’ensuit donques manifestemant de cete raison, que votre annuieuse Coutume d’ecrire, est bien preiudiciable à soi meme, & à toute la nation, & non moins deshonnorable à tous les deus.

Vous conseillerai-ie, Braves François, puis que ainsi an est de votre Coutume à ecrire, vous exhorterai-ie, à prononcer, comme vous ecriués ? veu qu’il est bien plus facile, d’accommoder vos langues à vos liures, que de reformer tous ceus-ci pour les façonner à celle-là. Ie vous laisserai plus volontiers an votre liberté, & informerai cepandant les etrangers de l’origine de cet erreur, de parler, & ecrire tant differammant, & des causes, qui l’ont antrerenu, iuques à maintenant : mais sans accuser nos vieus peres, qui ont laissé naitre, & enraciner, ce grand manquement de langage. Car ie veus, comme ie dois, considerer ce que, & le discours, & l’experiance m’anseigent : qu’il est bien plus aisé, de remarquer, & de regreter an son ame, l’inconueniant de plusieurs tares notables, dans une grande Communauté, que d’an diuertir la naissance, le progrés, la longue perseuerance.

Trois mauvais principes ont contribué à l’origine, à l’auancemant, & à la suite presque infinie, de la Coutume pretanduë, dont nous parlons & toutes les memes causes sont pour la porter, & etablir iuques à la fin du monde. Le premier de ces Principes a été, la nonchalance ordinaire, & generale de la plus part des pères, voire des plus riches, & releués, à fournir leur tendres anfans de maitres bien idoines, à les dresser convenablemant an la lecture, & ecriture. Certain respect d’economie les a portés le plus souuant à choisir pour cet office, des personnes ignorantes, & grossieres, qui n’ont peu montrer à leurs diciples, que ce qu’ils auoient mal apris dans le vilage, ou ailleurs, & de precepteurs de leur etofe. L’autre Principe

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