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CŒUR MAGNANIME

Ils s’étaient embarqués au Havre, à bord du transatlantique la « France ». Le navire contenait dans ses flancs d’acier un peu plus de quinze cents passagers ; toutes les classes de la société se trouvaient réunies dans cet espace restreint : c’était un monde en petit, avec cette différence cependant qu’une simple cloison séparait l’opulence de la misère…

Parmi les immigrants, qui composaient, comme toujours, la majeure partie des passagers, on remarquait un tout jeune couple dont les manières distinguées contrastaient étrangement avec les dehors plutôt vulgaires de leurs compagnons de classe. La femme, admirablement belle, mais extrêmement délicate, portait en elle une autre vie… Sa position, au milieu des épreuves du dépaysement, provoquait une émotion générale : tous la regardaient avec une sympathique compassion. Le mari semblait ployer sous l’écrasant fardeau d’un récent chagrin, son visage grave et élégamment beau reflétait une souffrance intime. À quelques pas, jouant avec les autres enfants de son âge, un gracieux bambin de quatre ans, quittait de temps en temps ses petits camarades de jeux et s’approchait d’eux ; il était la seule joie de leur existence, si tôt marquée de l’empreinte du malheur. L’enfant passait alors câlinement ses petits bras autour du cou de sa mère, lui murmurait quelques mots et la couvrait de baisers ; puis il renouvelait le même innocent manège à l’égard de son père, avec un peu plus de réserve cependant ; car l’air absorbé de celui-ci le gênait un peu dans ses enfantines effusions. Les caresses du cher petit ramenaient, pour un instant, le sourire sur les lèvres de ses infortunés parents : c’était une rapide éclaircie de bonheur, vite ils retombaient dans leurs sombres préoccupations.