Page:Monge - Coeur magnanime, 1908.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
CŒUR MAGNANIME

On était entré dans une période de beau temps, tout faisait présager une traversée heureuse ; nul ne prévoyait le triste drame qui allait bientôt se dérouler à bord…

Le quatrième jour on apprit qu’il y avait une naissance aux « troisièmes ». Cet événement n’est point une rareté. Les pauvres gens qui s’expatrient, pour chercher ailleurs un sol moins ingrat que le leur, ont tant hâte de jouir enfin du bien être rêvé ; les perspectives, que l’on fait miroiter à leurs yeux dans les brochures de propagande, sont si séduisantes que rien ne les arrête, ils partent en dépit de tous les obstacles. Qui sait ? un retard pourrait détruire les chances de succès : ils veulent tant réussir qu’ils bravent les fatigues et les plus insurmontables difficultés.

Selon l’usage on fit une collecte en faveur du nouveau-né, les immigrants eux-mêmes joignirent leur humble obole : c’était la pauvreté soulageant l’infortune ! Un prêtre américain de passage à bord baptisa le petit être. Celui-ci n’attendait sans doute que l’eau régénératrice pour quitter ce monde, où il ne faisait qu’apparaître, car, quelques instants après la petite âme reprenait son essor vers les cieux.

Le surlendemain, aux premières teintes roses de l’aube, les rares passagers qui, à cette heure matinale, se trouvaient sur le pont, contemplèrent un triste et impressionnant spectacle : on procédait à l’immersion d’un cadavre ! Le même prêtre qui la veille avait ouvert le ciel au nouveau-né, récitait les dernières prières sur le corps de la jeune mère. Debout, la tête découverte, le capitaine et quelques officiers du bord assistaient émus à la lugubre cérémonie. Auprès d’eux, hagard, les yeux secs, se tenait l’infortuné dont l’im-