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UNE ŒUVRE D’ARTISTE

I

Marius Guéridou forgeron du village de la C… était un « lettré » ; il savait lire, il savait même écrire. Ce double privilège constituait une véritable rareté dans la commune, du moins parmi les hommes de sa génération : Guéridou était de 1821. À cette époque l’instruction, n’étant pas encore rendue obligatoire, n’avait pas étendu son influence au delà des grands centres ; le paysan n’en était pas plus malheureux, ni ses récoltes plus mauvaises !

Guéridou était un ancien « compagnon », il avait fait son « tour de France », et c’est dans ses nombreuses pérégrinations qu’il avait récolté les quelques notions qui composaient tout son savoir.

Notre brave forgeron, qui sentait en lui l’étoffe d’un « grand homme », ne pouvait pardonner au destin de l’avoir fait naître un demi-siècle trop tôt, dans un temps de complète ignorance et d’« obscurantisme », un mot nouveau qu’il avait lu tout récemment dans le « Radical », où il avait puisé ses « idées nouvelles » ; mais Guéridou comptait bien se dédommager de l’ingratitude du sort sur son fils, le petit Benoit, lequel avait eu l’inappréciable avantage de venir au monde justement cinquante ans après son père, en plein « siècle de lumière » …

L’enfant était d’une rare intelligence ; malheureusement le « petit » avait l’âme et le physique de sa mère, la pieuse et douce Louise.