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UNE ŒUVRE D’ARTISTE

La Louise, comme on l’appelait, avait été la « beauté du village. » Sa sagesse égalait sa beauté ; aussi nombreux étaient les jeunes garçons du pays qui l’avaient convoitée. Marius Guéridou avait été l’heureux privilégié auquel elle avait accordé son amour et sa main.

En ce temps-là Guéridou ne lisait pas le « Radical » ; sa belle nature loyale n’avait pas encore subi le contact des fréquentations malsaines et, pendant les deux années de son « tour de France », il avait su garder intacts les sentiments d’honneur et de foi qu’il avait puisés au foyer paternel. Bien des jeunes filles eussent envié le sort d’être l’élue de ce cœur honnête et bon.

Si Guéridou avait attendu si longtemps pour fonder une famille, c’est que sa vieille mère, qui n’avait que lui comme appui, était devenue par l’âge infirme et inconsciente. Ce lamentable état exigeait de nombreux soins, une surveillance de tous les instants, un dévouement et une affection qui ne souffraient point de partage. Marius comprit que son devoir était là et tant que la pauvre vieille femme avait vécu il n’avait pas pensé à son propre avenir.

Depuis cinq ans, au moins, Marius aimait Louise et malgré lui il éprouvait comme un égoïste sentiment de joie de la savoir libre de son cœur alors que lui, entièrement accaparé par le sacrifice filial, ne pouvait disposer du sien. Il vivait ainsi entre la satisfaction du devoir accompli et la crainte qu’un plus heureux que lui et plus maître de son sort ne la lui ravit.

Ce jour-là, où le jeune forgeron aborda la Louise, celle-ci cousait sur le seuil du modeste logis qu’elle occupait seule depuis la Saint André passée, fête patronale du village et qui avait été pour elle un jour de