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CŒUR MAGNANIME

pitoyable mort venait d’arracher si brusquement à sa tendresse la compagne adorée, l’ange et le meilleur appui moral de sa triste vie.

Lorsque les flots se refermèrent sur la chère dépouille, engloutissant sa dernière consolation ici-bas, l’homme n’eut pas un cri, pas une plainte pour traduire son extrême douleur ; mais, titubant, il regagna l’entrepont et s’affaissa sur un amas de cordages. Il demeura là, les coudes appuyés sur ses genoux, la tête cachée dans ses mains, refusant toute consolation.

Ce farouche désespoir inquiéta le capitaine, il s’approcha du malheureux, tenta de lui parler ; ce fut en vain. Le pauvre découragé ne leva pas même la tête et s’obstina dans son mutisme : le choc douloureux avait ébranlé, dans un même degré, le cerveau et le cœur de l’infortuné… Alors le chef du bord recommanda à l’équipage de ne le point perdre de vue. — « Je redoute un second malheur — dit-il — veillez sur lui. »

Ses pressentiments devaient se réaliser…

Le cri : un homme à la mer ! retentit bientôt d’un bout à l’autre du navire. Malgré l’étroite surveillance dont il était l’objet, profitant d’un court instant d’inattention, le malheureux, toujours poursuivi par l’obsédante pensée de rejoindre sa bien-aimée, enjamba soudain l’étroit rebord qui le séparait de l’abîme… On stoppa immédiatement, en hâte on commença l’opération du sauvetage ; mais, cette fois encore, en dépit de tous les efforts, les flots gardèrent leur proie volontaire. Après de longues et vaines tentatives pour sauver le désespéré, le bateau dût reprendre sa marche…

Une émotion intense s’empara de ceux qui furent les témoins impuissants de ce sombre drame et se