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LA RANÇON

pensaire que son humble cellule avoisinait. « Ce doit être un malade bien pressé » — se dit-elle. — En hâte elle se rendit à sa pharmacie. En ouvrant la porte elle reconnut une femme du quartier. Venez vite, ma sœur, lui dit celle-ci — le père Rancurel m’envoie vous chercher. Paraît que sa fille, « file du mauvais coton » à c’t’heure. »

Sans en entendre plus, atterrée par la brusque nouvelle, mais dominant son émotion, sœur Thérèse accourut au chevet de Marie-Louise. Celle qui l’avait quittée quelques heures auparavant, parée de sa fraîcheur et de sa grâce printanières, était étendue sur un lit de douleur et semblait privée de vie. Auprès d’elle, à genoux, arrosant de ses larmes et couvrant de baisers la petite main, qui pendait inerte sur le couvre-lit de cretonne fleurie, le père Rancurel, écrasé par ce subit malheur, pleurait et répétait, entre deux sanglots : pardon, pardon…

Quand la jeune malade aperçut sa sainte amie, un doux sourire irradia son pâle et beau visage ; en retour les pleurs de l’homme redoublèrent. Malgré la muette, mais suppliante protestation qui se lisait dans les grands yeux de Marie-Louise, son père fit à sœur Thérèse le tragique récit suivant.

« Je sortais de l’usine, bien décidé ce soir d’aller tout « droit à la maison, — mes longs retards chagrinent tant la petite ! — seulement ma volonté est toujours vaincue par ma vilaine passion. Tout comme les autres fois, je cédai à la tentation, jointe aux instances des camarades, et j’entrai, avec eux, à l’estaminet qui fait face à la fabrique.

« Nous avions bu deux « tournées » lorsque le contre-