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CŒUR MAGNANIME

femme désolée de retourner en son foyer : la tendresse de son mari et ses devoirs de maîtresse de maison réclamaient sa présence.

La rentrée dans cette demeure, où désormais l’enfant chérie ne ferait plus entendre son pas léger et son rire joyeux, allait raviver la cruelle douleur. Pour en atténuer l’acuité, Madame Solier n’hésita pas à se séparer de sa chère petite Anne-Marie, qu’elle confia à sa jeune sœur avec la promesse qu’elle la lui ramènerait à la saison suivante. Sa tante ne se résigna à la rendre qu’après deux longues années, alors qu’une autre petite fille était venue combler le douloureux vide.

Lorsque Rodrigue et Anne-Marie se revirent, ils furent surpris de la transformation qui s’était opérée en eux. Un sentiment étrange, inconnu jusque-là, s’insinua peu à peu dans leur cœur… Rodrigue se montrait plus empressé, plus affectueux qu’avant ; il ne se trouvait heureux qu’auprès de sa sœur adoptive. Celle-ci, au contraire, semblait le fuir… L’un et l’autre ne tardèrent pas à comprendre que la fraternelle amitié d’autrefois avait cédé à une tendresse plus ardente ; seulement chacun était convaincu que son amour n’était point partagé : de là cette application continuelle à le dissimuler à tous et plus encore à qui en était l’objet. La nature passionnée de Rodrigue le trahissait bien quelquefois, et une jeune fille moins naïve et plus coquette qu’Anne-Marie aurait vite deviné à quel titre elle vivait dans la pensée et le cœur du jeune homme… Il eut été plus difficile de pénétrer dans ce sanctuaire intime où la jeune fille recélait son amour ; par un sentiment de fierté pudique elle l’enveloppait d’une sorte d’indifférence qui contrastait avec l’expan-