— « Je n’en ai jamais goûté, mademoiselle, il me serait donc un peu difficile de vous donner mon opinion là-dessus », répliquai-je pour avoir l’air de dire quelque chose.
— Si vous voulez en faire l’expérience et si vous ne redoutez pas le remords, goûtez-en une et, ce disant, de sa main mignonne elle m’offrit un des fruits si périlleusement conquis. J’avais bien envie de refuser. « Ne craignez pas insista-t-elle, vous ne serez le complice que d’un petit tour que je veux jouer au maître de ce verger, un vieil harpagon, riche comme un Crésus ; mais dur envers les pauvres comme pas deux. Quand il va s’apercevoir de la disparition de ses pêches, il est bien capable d’en faire une maladie…Sauvons-nous vite, c’est l’heure où il vient inspecter ses arbres fruitiers. Gare s’il nous prenait au piège ! » …
Nous ramassâmes en hâte la cueillette qu’elle dissimula dans le pan de sa robe de mousseline et comme je m’apprêtais à prendre congé d’elle. « Pourquoi me laissez-vous, me dit-elle, puisque notre chemin est le même, faisons route ensemble ; d’ailleurs je pourrais rencontrer « l’ennemi » ; alors vous me servirez de « garde du corps » en cas d’attaque ».
Elle riait d’un si bon cœur que je finis par rire à mon tour.
« Comment supposez-vous que ma route est la même que la vôtre ? Vous me connaissez donc, Mademoiselle », lui demandai-je intrigué ?
« Vous ne savez donc pas — me répondit l’espiègle — que le même toit nous abrite ? »
— Vous êtes, alors, Mademoiselle Muller ?
— Précisément, ça vous étonne ?