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CŒUR MAGNANIME

aimante que vous êtes. Je le lui ai reproché. « Vous vous devez tout entier à votre premier amour — lui ai-je dit — pour être demeuré secret il n’en exige pas moins que vous lui demeuriez fidèle. Ayez le courage d’avouer votre situation aux Muller ; dites leur que vous ne pouvez épouser leur fille parce que vous vous êtes déjà promis à une autre et que cette autre vous attend.

— « Je le voudrais bien — me répondit-il — j’étais même résolu d’expliquer mon cas ; mais je ne le puis, ajouta-t-il d’un ton découragé — Si je délaisse Odile je suis convaincu qu’elle ne surmontera pas l’épreuve ; elle n’est point douée, comme ma sœur adoptive, de cette vaillante énergie et de cette solide piété qui réconfortent aux heures de découragement ; mon abandon la tuerait et ce serait pour moi un perpétuel remords.

— « N’en aurez-vous pas davantage quand vous penserez à celle que vous aurez si indignement trahie ? »

— « Je vous en prie — suppliait-il — ne me parlez pas ainsi. Si vous saviez combien je suis malheureux. Dites-le à ma sœur, peut-être qu’elle me prendra en pitié, elle est si miséricordieuse. »

En effet Rodrigue est plus malheureux que coupable ; si vous pouviez sonder son cœur, vous en auriez compassion. Les parents de la jeune fille sont pour beaucoup dans ce pénible état de choses. Voyant en Rodrigue un parti inespéré, ils ont manœuvré en conséquence pour aboutir à l’union convoitée. Mon ami, vu son caractère faible, était une proie facile… Ils ont tant hâte que le mariage s’accomplisse qu’ils poussent Rodrigue à passer outre le consentement de ses parents adoptifs desquels ils redoutent un refus. Mais il ne veut pas — me disait-il — ajouter cette nouvelle ingratitude à tant d’autres.