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CŒUR MAGNANIME

La lettre était de nouveau à son nom. Pressentant un second malheur elle se raidit contre l’émotion qui l’envahissait ; adroitement, elle dissimula la missive, qu’elle voulait d’abord lire seule, afin d’être mieux à même de préparer les siens à recevoir le coup douloureux. Calme, comme si rien d’anormal n’était survenu, elle acheva sa tâche. Quand elle eut fini, après avoir embrassé son père, plus tendrement encore que de coutume, elle monta à sa chambre, ce sanctuaire où elle aimait à se réfugier et à se recueillir aux heures de désespérance. Là, elle pouvait, sans témoin, donner un libre cours à ses larmes et se retremper au contact de la prière. Tournant et retournant entre ses doigts tremblants l’étroite enveloppe qui contenait la ruine de son dernier bonheur elle passait par toutes les angoisses qu’elle avait éprouvées, lors de la première lettre que lui écrivit le jeune prêtre. Enfin, raffermie par un regard vers le ciel, elle brisa le cachet et lut :

« Je serai donc toujours pour vous, Mademoiselle, le triste messager du malheur ? Cette fois, selon le langage humain, c’est l’irrémédiable… Vous m’avez déjà compris, j’en suis sûr, et j’ai pitié de votre douleur. Hélas, oui, Rodrigue, notre cher Rodrigue est depuis hier dans son éternité ! Je n’entreprendrai pas de vous consoler, mes pauvres paroles seraient trop au-dessous de votre affliction. Je ne puis que pleurer avec vous. Oui pleurons, les larmes ne sont pas défendues quand elles sont l’expression de notre douleur résignée : Jésus a sanctifié ces pleurs que nous versons sur nos chers disparus : n’a-t-il pas pleuré Lui-même sur la tombe de Son ami Lazare ? Pleurons, mais non pas