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CŒUR MAGNANIME

le cœur libre pour mieux accomplir ma tâche. Néanmoins nous demeurerons toujours fraternellement unis. » Fixant sur lui son pur regard, elle ajouta plus bas : « Je ne vous oublierai jamais, la plus douce consolation de ma vie sera de me souvenir que vous m’avez aimée : pour moi, nul autre, hors Dieu, ne vous remplacera désormais dans mon cœur… »

Le jeune homme n’essaya même pas de l’ébranler dans son héroïque sacrifice, il la connaissait trop pour savoir que les résolutions chez cette grande âme n’étaient point la conséquence d’un enthousiasme ou d’une générosité d’un moment, qu’elles étaient, au contraire, sérieusement pesées et mûries et qu’une fois formulées elle n’y faillissait jamais.

Il comprit que pour lui tout était fini

« Je suis bien malheureux — lui dit-il — cependant il m’est doux d’être associé à votre sacrifice puisque ce sera encore un lien entre nous. »

Il se leva. L’indicible souffrance, qui étreignait son cœur, se trahissait sur son visage. Il parut à la jeune fille soudainement vieilli. Elle l’accompagna jusqu’au seuil de ce foyer où il avait vécu les heures les plus heureuses de sa jeunesse et où désormais il ne viendrait plus s’asseoir.

Il lui tendit la main. Ce fut elle, cette fois, qui la retint dans la sienne. Elle ne comprit jamais autant qu’à cet instant de définitif adieu combien il lui était cher ; elle sentit tout le poids de son héroïque sacrifice ; mais elle ne le regretta point…

Ils se regardèrent longuement.

« Anne-Marie — dit le jeune homme — (c’était la première fois qu’il usait de cette appellation familière), vous m’aimerez toujours un peu, n’est-ce pas ?