Tout cela est perdu dans le recueil de M. Pitrè, mais la narration suffit pour intéresser les lecteurs les plus exigeants : La Messia sait mener de front, sans confusion, deux ou trois épisodes qui ne se joignent qu’à la fin, et passe à chaque instant sans embarras, d’un saut vif et léger, du récit au dialogue. Il est vrai que le patois sicilien donne beaucoup de grâce aux choses les plus simples et de saveur même aux choses les plus fades ; nous n’en regrettons pas moins que la bonne femme ait négligé d’apprendre à écrire : la Sicile aurait peut-être un romancier.
La Messia n’est pas seule à raconter des histoires. Une commère du même quartier, Rosa Brusca, qui va sur ses quarante-six ans, l’égale presque dans les sujets badins ; elle tissait de la toile dans son jeune temps, mais elle ne peut guère aujourd’hui que tricoter des bas, car elle est aveugle. Assise dès l’aube sur le pas de sa porte, elle cause et badine avec les passants, leur jette des lazzis, ou gronde son mari qui perd au cabaret ce qu’il gagne au four. Son récit file droit, comme disent les Siciliens, sans hésitation, sans digression : peut-être la cécité lui permet-elle une plus grande concentration d’idées.
Quant à la gnura Sabedda (la dame Elisabeth), qui possède aussi un riche répertoire de contes siciliens, c’est une bonne servante à laquelle on attribue ce qu’il faut pour gagner le royaume des cieux : cette sainte simplicité donne à ses récits le charme et aussi l’autorité de la candeur. Elle doit avoir cinquante-cinq ans et répète ce que lui a narré son, aïeule qui mourut centenaire. « J’étais alors bien petite…, et elle, la bonne âme, me disait : — Souviens-toi de la mère-grand et de ses contes, et quand tu seras belle, grande, tu les conteras aussi, toi. »