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Page:Monod - Renan, Taine, Michelet, 1894.djvu/311

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D’autres peuples ont pu nous disputer la première place dans la poésie lyrique, dans la philosophie ou l’art dramatique : nul ne nous a refusé la gloire d’avoir donné au monde les premiers des moralistes. Pourquoi Montaigne reste-t-il éternellement jeune ? Pourquoi lit-on plus les Pensées que les Provinciales, madame de Sévigné que Bossuet, les Confessions que le Contrat social ? C’est qu’on n’a encore rien trouvé de plus intéressant pour l’homme que l’homme même. Pascal a beau railler Montaigne, il est heureux en le lisant de trouver un homme là où il s’attendait à voir un auteur. Il n’est pas nécessaire qu’un auteur de mémoires ait été illustre par ses actions ou par ses écrits pour que l’histoire de son âme nous intéresse. Peu importe que Joubert n’ait été connu de son vivant que d’un petit cercle d’amis s’il a laissé, dans ses Pensées et dans ses Lettres, des trésors d’observations morales. Peu importe qu’Amiel ait vécu une vie obscure et monotone, que Marie Baschkirtseff n’ait pu donner la mesure de son talent d’artiste, si l’un a décrit avec une émotion éloquente et avec une rare puissance d’analyse les inquiétudes intellectuelles et morales de son âme et de l’âme d’une foule de ses contemporains,