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CHARLES MONSELET

qous écrivîmes dans une revue[1] un article où nous essayâmes de faire passer toutes nos répulsions pour la littérature alors si tiède de M. Émile Augier. Le futur académicien n’avait encore composé ni le Gendre de M. Poirier, ni le Mariage d’Olympe, deux pièces dans lesquelles son talent s’est ouvert une voie nouvelle et qui ont nécessairement modifié notre jugement. Après avoir débuté spirituellement dans la Ciguë, il s’était arrêté tout à coup comme un danseur atteint du coup de fouet, et il était rentré en boitant dans la coulisse. Pendant sa maladie, en proie à d’incohérentes réminiscences, il avait conçu une singulière comédie intitulée Gabrielle où se retrouvent, accouplés et hurlants, les procédés et les styles si divers de Picard, de M. Scribe et d’Alfred de Musset. Il avait jeté là dedans toutes sortes de choses, comme dans les vol-au-vent à la financière : maximes, crêtes de coq, fantaisie, ris de veau, écrevisses et brutalités. Et cela avait réussi. Chacun avait pris dans cette œuvre ce qui lui convenait. L’Académie elle-même, venue la dernière, et armée d’une fourchette plus grande que les autres, en retira un prix de vertu.

» M. Émile Augier, encouragé parce succès de marmite conjugale, n’hésita point. Entre la bourgeoisie qui l’appelait son poète lyrique et la critique qui ne lui accordait qu’une sorte de bon sens dénué d’élévation, il se décida pour la bourgeoisie. Une sœur ou tout au moins une cousine germaine de Gabrielle parut bientôt, à laquelle il donna le nom de Philiberte. Mêmes concessions, même fusion de toutes les manières. Ce fut alors que, la littérature dramatique nous semblant sérieusement menacée par un de ses représentants les plus écoutés, nous tentâmes de réagir contre ce second succès dans la mesure de notre humble autorité et de nos humbles forces. Nous cherchâmes à expliquer combien, après les hardies et glorieuses tentatives de Victor Hugo, d’Alexandre

  1. L’Artiste, no  du 15 avril 1853.