» Je crois vous voir encore, mon cher Dumas.
» Vous étiez heureux autant qu’on peut l’être, et vous l’aviez toujours été jusqu’alors. Dès l’enfance, vous aviez été spectateur des grandes batailles romantiques ; vous aviez vu, approché les héros de cette autre Renaissance. George Sand vous avait embrassé ; Victor Hugo vous avait fait jouer avec ses enfants ; Lamartine avait lu sur votre front. Vous aviez tiré les grosses moustaches de Frédéric Soulié, et galopé à cheval sur la fameuse canne de Balzac.
» Adolescent, vous aviez suivi votre père dans ses voyages ; vous aviez visité l’Espagne avec lui. Quels développements pour votre intelligence si pénétrante et déjà si active ! Bien peu parmi ceux de notre génération ont eu de tels commencements.
» Enfin, vous veniez de publier un livre qui avait eu la bonne fortune de s’imposer tout de suite au public et particulièrement aux femmes, cette Dame aux Camélias pour laquelle vous ne rêviez pas encore le théâtre et qui avait eu plusieurs éditions en peu de temps. Vous étiez sur la route du succès. Jeune et déjà célèbre, vous jetiez, dit-on, votre cœur, comme votre esprit, aux quatre vents du ciel.
» C’était plaisir de vous voir vivre !… »
Mais citer toutes les relations de Charles Monselet serait citer toute la littérature de cette époque. Nul n’a été en effet plus répandu.
Le café, vers lequel entraînait un mouvement général, et qui avait alors des faux airs d’Académie, ne l’avait pas empêché de se montrer dans plusieurs salons : salon d’Augustin Thierry ; salon d’Émile Deschamps, d’Émile de Girardin et d’Arsène Houssaye.
Plus tard, il devait être un des hôtes les plus assidus du salon de Victor Hugo, qui, était en quelque sorte le péristyle de l’Institut.