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IX

« …Aux oisifs qui seraient tentés plus tard — (bien plus tard !) — de recueillir quelques traits pour ma biographie, a écrit un jour Charles Monselet avec sa bonhomie habituelle, je recommande ce passage de la Préface de mon premier livre, qui ne manque pas d’une certaine crânerie :

» …Le lecteur est prévenu qu’ayant vendu mon corps et mon âme à la littérature, il doit s’attendre de ma part à une série non interrompue de productions. Résolution calme, gaie humeur, mon passeport est en règle. J’irai de la sorte jusqu’au bout. Quel sera ce bout ? Peu importe ; ma vie est là, et avec ma vie mon bonheur. Le bonheur des écrivains est dans leur pensée ; ils portent leur paradis dans leur tête.

» Du fond de leur pauvreté, ils peuvent encore braver les riches et les plus riches. Ils souffrent, mais ils ne s’ennuient jamais. Pour une secouée d’arbre qui leur envoie des odeurs au visage, ils ont des délices dont l’intensité ne sera jamais comprise par les hommes qui vont à la Bourse. Je vous le dis, une vie de poète vaut une mort de poète. Des extases telles que les nôtres ne peuvent s’acheter trop cher.

» Amis, soyons bons envers ceux qui n’ont pas la pensée ; ne leur envions rien de ce qu’ils possèdent. Au fond, voyez-vous, ils ne possèdent rien ; ce sont des castors, nous sommes des oiseaux. Ils se construisent de petites huttes avec leur queue qui leur sert de truelle ; nous suspendons nos nids aux branches des chênes. Ils barbotent, qu’est-ce que cela nous fait ? »