Tout en restant un écrivain, et même un écrivain actif, il a eu le don de se passionner pour des choses absolument étrangères à son art, mais dont son art a profité. C’est une condition bien essentielle, celle qui consiste à oublier qu’on est ! un auteur pour vivre et penser comme un homme.
Les hommes de lettres vivent trop en hommes de lettres. C’est-à-dire qu’ils ne se mêlent pas assez à la vie du peuple, des bourgeois et du monde… Il y a certainement tout à gagner à régulariser sa vie. mais il ne faut pas la monotoniser… Vous avez beau dire que Paris est le grand foyer d’où jaillit toute lumière et toute chaleur, je répondrai qu’il ne fait pas bon à vivre sans relâche dans le feu. De deux choses l’une : ou l’on s’y consume ou l’on s’y habitue. Et ces deux ce sont également funestes.
» Paris se fait bientôt étroit pour celui qui se condamne à demeurer enfermé. La vie y emprunte des conventions, les sentiments s’y émoussent, — le langage devient plagiaire, l’activité est malsaine. On n’use pas du temps, on le vole. Paris est comme un théâtre où il y aurait continuellement représentation, aussi bien le matin que le soir, aussi bien le jour que la nuit. Et pas de coulisses ! pas d’entr’actes ! toujours la musique ! toujours le public devant vous !
» Dans de telles conditions, il est presque impossible à un auteur de s’approprier la vie des autres. On voudrait en vain essayer de suppléer à tout par l’intuition, mais l’intuition est la dernière des qualités pratiques ; et pour un romancier la seconde vue ne vaut pas la première. En résidant à Paris perpétuellement, on en arrive à ne pouvoir plus faire de livres qu’avec les autres livres. On peut devenir un excellent critique de théâtre ou un chroniqueur agréable ; on peut avoir beaucoup d’esprit et d’ingéniosité : mais l’ampleur, mais l’énergie, mais le pathétique, mais l’amour honnête, mais le sublime, en un mot, vous ne l’avez pas, vous ne pouvez pas l’avoir.