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SA VIE, SON ŒUVRE

» À Paris on a la fièvre, on n’a pas la passion.

»… Un homme de lettres doit toujours être préoccupé du désir de renouveler ses idées et son vocabulaire. Pour cela il faut qu’il change souvent d’air et de milieu ; il faut qu’il voie la province, l’étranger, — qu’il change ses habitudes, qu’il contrarie ses instincts, qu’il soit quelquefois brutal envers lui-même, téméraire, et qu’il ne fuie pas l’imprévu…

» … Un homme qui a partage avec Stendhal celle supériorité, c’est Balzac, tour à tour imprimeur, antiquaire, propriétaire ; avide de toute science : chimie, alchimie, droit, politique, commerce, etc. ; dévoré par le goût des voyages, explorant à fond toutes les villes de France, amoureux à l’Isola Belle, poussant jusqu’en Russie, voyant partout le meilleur monde. Mais Balzac domine Stendhal de toute la hauteur de sa bonne foi…

» … Ordinairement le caractère donne la clef du talent. Le caractère de Stendhal était narquois, tourmenté, gourmé, menteur. Il avait de grandes prétentions à l’art, a la passion et à l’esprit. Ses livres d’art fourmillent de paradoxes. Sa passion, telle du moins qu’il l’a dévoilée dans ses romans, chagrine on répugne. Il semble que le Julien Sorel de le Rouge et le Noir, par exemple, soit une de ces créations où il entre beaucoup de la vie et du sang de l’auteur ; c’est la mauvaise jeunesse de Rousseau recommencée…

» L’esprit de Stendhal a un tour particulier ; ce n’est plus français, ce n’est pas encore italien… Il fait songer au verre d’eau où chacun, à l’aide d’un microscope, distingue un monde d’insectes. Mais l’esprit au microscope, c’est le pire esprit, surtout dans un pays qui s’honore de Voltaire, de Rivarol, de Chamfort. Et la première condition de l’esprit, c’est d’être saisissant.

» De même que le caractère donne la clef du talent, de même aussi la physionomie donne la clef du caractère : Stendhal était loin d’être beau ; il avait cette tournure épaisse et vulgaire du bourgeois qui poursuit un négoce insipide. De sa