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SA VIE, SON ŒUVRE

cet élément indispensable et radieux de nos dîners ? Si l’on croit, par hasard, qu’il n’y a ni gloire ni profit à ce métier de professeur de chère-lie, qu’on lise l’histoire de Grimod de La Reynière, et l’on sera grandement détrompé… »

De là à prendre la place vacante, il n’y avait qu’un pas. — Monselet n’hésita pas à le franchir : — le Gourmet était fondé et l’écrivain y préludait par une Invitation à la table ainsi formulée :

« Toute passion raisonnée et dirigée devient un art ; or, plus que toute autre passion, la gastronomie est susceptible de raisonnement et de direction.

» Qu’on y réfléchisse bien : les heures charmantes de notre vie se relient toutes, par un trait d’union plus ou moins sensible, à quelque souvenir de table… »


Quelques semaines plus tard, Charles Monselet écrivait sa première Lettre à Émilie sur la Gastronomie dont le début est encore une explication, — soupirée sur un mode mineur :


« Cela devait finir ainsi, madame, — et pour ma part, je n’en ai aucun regret. Quel plus heureux dénoûment à un amour brisé que celui qui s’opère par la grâce de ces quatre merveilleuses paroles : Le dîner est servi.

» Hélas ! oui, madame, le dîner est servi et bien servi. Vous rappelez-vous ces après-midi passés auprès de vous à la campagne, et comme je maudissais la cloche qui nous rappelait dans la salle à manger ? — Aujourd’hui, je reviens de la foire aux jambons ; il y avait d’admirables sujets.

» C’est en avril que je vous ai connue pour la première fois ; tous les arbres étaient en fleurs comme à présent, moitié neige, moitié roses ; les buissons s’essayaient à la verdure ; mais que de maigreur encore, que de frissons, quel soleil indécis et clignotant ! Et cependant on sentait circuler partout le mystérieux attrait des juvénilités, — Avril est de retour ; je