Page:Monselet - Charles Monselet, sa vie, son œuvre, 1892.djvu/21

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jeune, arrivant à Paris pour en faire la conquête, comme Rubempré ou Rastignac, il notait chaque jour ses impressions, ses déceptions, ses espoirs et ses misères. C’est un document littéraire tout à fait précieux que ce Journal publié par M. André Monselet ; jugements rapides, notes cursives, très nettes, toujours humoristiques, souvent narquoises, jamais amères comme le sont trop souvent ces Sensations où les amours-propres blessés prennent le papier pour complice de leurs rancunes.

Et je préfère encore à ce Journal juvénile les lettres intimes dont je parlais tout à l’heure. Il en est une où le père parle à ses enfants le plus touchant, le plus attendrissant langage. Il me faisait évoquer Sterne tout à l’heure, le voilà presque qui nous fait songer à un bonhomme de Greuze — non pas d’un Greuze de Courbet. Quoi ! lui, Charles Monselet, le fantaisiste, le poète de En Médoc, le Parisien sceptique en apparence, lui, Monsieur de Cupidon ! Eh bien, oui, la vérité a de ces surprises. Nous sommes tous plus ou moins victimes de la légende et l’on nous affuble d’un rôle que nous ne jouons pas tous en réalité. Le gourmand cachait au public ce gourmet de sentiment qu’était Charles Monselet. On aurait pu croire qu’il mourrait d’une maladie de l’estomac. Point du tout : il mourut, comme il disaità Millaud, d’une maladie de cœur. Méfiez-vous de la légende et surtout, quand vous rencontrez un railleur, ne regardez pas trop son sourire ; cherchez, au contraire, — cherchez bien au coin de sa paupière cette larme à l’œil dont parle l’auteur de Tristram Shandy.

Il eut un chagrin, Monselet, et dans ce chagrin même il eut une joie. Un jour, il se présenta aux suffrages de l’Académie française. Sa lettre de candidat en valait bien une autre et ses titres valaient plus que ceux de bien d’autres.