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SA VIE, SON ŒUVRE

chant souvenir, — lignes ensoleillées où circule l’ombre d’un sentiment, — larme qui brille à travers les cils.

« … J’ai toujours eu un tendre pour les vins d’Espagne — écrit-il. — Est-ce parce que la littérature romantique les a célébrés à lyre que veux-tu ? Peut-être bien. Je me souviens, à ce sujet, qu’il y a douze ans environ, Henri Mürger et moi, la tête pleine des poèmes amoureux et insolents d’Alfred de Musset, nous achetâmes un soir, chez un épicier, une bouteille de xérès, que nous allâmes boire triomphalement tous deux dans une chambre d’hôtel garni, rue Mazarine. M. Pierre Joseph Proudhon, à cette époque, occupait, dans le même hôtel, une chambre au-dessus de celle de Mürger. Ce fut d’une façon toute tapageuse que nous décoiffâmes notre flacon. Mürger m’appelait don Paëz et je l’appelais don Etur.

» Les réminiscences cavalières nous arrivaient en foule ; nous portâmes la santé de Juana d’Orvedo, en invoquant tous les saints de la Castille. Peu s’en fallut qu’à propos de cette dame nous n’en vinssions aux mains ; il cherchait un poignard, et moi je voulais renverser la bougie d’un coup de poing. Sur notre tête, on entendait les pas réguliers de M. Proudhon, comme une moralité vivante. Nous fîmes mutuellement de vains efforts pour rouler sous la table. Le xérès, qui avait coûté deux francs cinquante centimes, était atroce. Nous en fûmes très incommodés.

» Hélas ! l’heure du vrai xérès — du xérès de la Fonterra — devait sonner pour moi seul ! et aussi l’heure du valdepeñas, de l’amontillado, de l’abocado ! Vins éclatants, vins de pourpre et d’or, philtres oubliés par les enchanteurs d’Orient, j’ai demandé à vos arômes quelques-uns de ces châteaux dont l’Espagne a le monopole ! »


Et de Séville comme de Rome, Monselet est revenu à son point de départ, à Montmartre, — Montmartre, c’est-à-dire Paris, qu’il avoue naïvement et sincèrement aimer : Paris,