Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/19

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par exemple, rien ne manquait pour tenter une palette passionnée, ni le sentiment dramatique, ni les oppositions de la lumière, ni le mystère, ni le désordre. Les rideaux et les draps traînaient à terre, à demi-déchirés et portant l’empreinte de doigts sanglants ; les meubles étaient hors de leur place ; des clous de souliers avaient éraillé le parquet. Le grand silence extérieur et la pâle nuit qu’il faisait, aperçue par la croisée restée ouverte, ajoutaient à l’harmonie de ce tableau d’assassinat et préparaient l’esprit aux choses qui allaient se dire et se faire.

— Je vous écoute, madame, prononça le monsieur, dès qu’il vit seul avec Mme Abadie.

— Voulez-vous avancer mon fauteuil près de la cheminée… là… plus près encore.

Sa main s’éleva en tremblant et se promena le long du mur, jusqu’à ce qu’elle eût rencontré un point caché par la tapisserie. Aussitôt, la glace qui surmontait la cheminée glissa sur une rainure et démasqua un placard.

— Monsieur, dit Mme Abadie, j’attends de vous un service suprême… un de ces serments qu’une mourante seule a le droit de réclamer.

— Parlez, madame, et, quelles que soient vos confidences, soyez certaine que vous avez affaire à un homme d’honneur.

Elle parut rassurée par ces paroles.

— Ouvrez le placard, dit-elle : il y a, entre autres pièces, mon testament officiel et légalisé ; il appartient de droit à la justice, ce n’est donc pas de cela qu’il s’agit, il y a des coupons de rente au porteur, et… de l’or… vingt mille francs dans un sac… Le voyez-vous ?

— Oui, madame.

— Vous n’êtes peut-être pas riche, continua-t-elle avec hésitation ; il est juste que vous soyez indemnisé des peines et des dérangements que vous causera ma demande ; prenez ces vingt mille francs.

— C’est inutile, dit-il en souriant.

— Pourquoi ?

— C’est que j’ai soixante mille francs de rente, et que ce chiffre suffit à mes nécessités.