Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/266

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— Ne t’occupe pas de cela.

Il serait trop long de dire les ruses auxquelles elle eut recours pour n’arriver qu’à des renseignements imparfaits. Elle apprit la tenue des livres afin de pouvoir, deux ou trois fois par an, se glisser clandestinement dans le comptoir et y interroger les chiffres.

Le caractère taciturne d’Étienne Baliveau affligeait d’autant plus cette pauvre femme, qu’elle-même lui avait toujours caché un secret : atteinte d’épilepsie après une grossesse, elle s’était accoutumée à lutter silencieusement contre la souffrance ; car elle savait que cette maladie est une de celles qui, surtout en province, stigmatisent une famille et vouent ses enfants au célibat, à moins qu’ils ne possèdent une grande fortune.

Or, Mme Baliveau avait une fille de vingt-deux ans qu’elle cherchait à marier. Voilà pourquoi cette héroïque bourgeoise s’efforçait de dissimuler ses douleurs physiques. Une seule personne était dans la confidence : c’était Catherine, la vieille domestique ; et, pour rien au monde Catherine ne l’aurait trahie ; elle savait protéger et même provoquer sa retraite dans son appartement, lorsque Mme Baliveau ressentait les approches de ce mal terrible, approches qu’il n’est pas impossible de prévoir dans de certains cas et sous de certaines influences. C’était Catherine qui faisait alors le guet aux alentours de la chambre à coucher, pendant que Mme Baliveau se débattait dans les convulsions et dans l’écume…

Hasard providentiel, précautions inouïes, miracle de volonté ou amour maternel, toujours est-il que la courageuse femme avait réussi jusqu’à présent à dérober sa maladie à tous les yeux. Depuis la mise au monde de sa fille, qui avait été accompagnée des plus grandes souffrances, elle occupait un appartement séparé de celui de son mari ; cet appartement était tapissé et matelassé de toutes parts, pour étouffer les cris et amortir les chutes. Elle sortait peu, parce que dans la rue un rien, une émotion pouvaient déterminer une crise. Elle n’allait ni dans le monde ni à l’église ; elle accomplissait ses dévotions dans sa chambre. Cette claustration, que son mari avait vainement combattue dans les commencements et qu’elle avait toujours