Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/313

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’était là le triomphe de la lettre anonyme. Rien n’y manquait : style patelin, heureux choix de mots, manifestation de sympathie, signature affectueuse ; quelque chose comme un reptile qui ondule, se glisse, prend son temps et s’élance. Tout en souriant de mépris, Philippe examina l’écriture de cette dénonciation ; elle était ferme, lourde, prétentieuse. Il en conclut que ce devait être l’œuvre salariée de quelque écrivain public. Néanmoins, et bien qu’il se fût promis de n’accorder à cette injure qu’un légitime oubli, ce ne fut pas sans un mouvement de contrariété qu’il entendit le lendemain Amélie dire au laquais :

— Prévenez le cocher pour huit heures ; j’irai ce soir chez Mme de Pressigny.

La lettre anonyme était donc bien instruite. Résolu à étouffer au fond de son cœur tout germe de honteux soupçon, Philippe, le soir venu, annonça qu’il irait à l’Opéra. Ayant dit, il se leva et posa ses lèvres sur le front d’Amélie, ce qui est, pour tout mari bien élevé, la meilleure façon de prendre congé de sa femme. L’empressement qu’elle apporta à recevoir ce baiser causa à Philippe un trouble et un malaise qu’il ne put cacher.

— Qu’avez-vous, mon ami ? lui demanda-t-elle.

— Une oppression subite… oh ! rien qui doive vous inquiéter.

— De quel air vous me dites cela, Philippe ?

Il s’était assis. Elle s’assit auprès de lui.

— Vous voulez que je sonne ? reprit-elle.

— Non.

— Vous avez pâli, cependant ; il faut envoyer chercher le docteur.

— Ce n’est pas la peine, Amélie.

— Voyons, qu’éprouvez-vous ?

— Plus rien.