d’état de distinguer une scabieuse d’un potiron. Moi-même, je dois l’avouer…
— Avouez, monsieur Blanchard.
— Je ne me rendais pas un compte satisfaisant des dimensions de la rue de la Comète ; heureusement j’étais protégé par mon idée fixe. Je m’empressai d’aller confier le lourdaud à mon valet de chambre, à qui je recommandai de le tenir sous clé pendant quarante-huit heures.
— Je vous devine.
— Le lendemain au point du jour, exactement vêtu comme lui, chargé, en outre, d’un faisceau d’arbrisseaux qui cachaient une partie de mon visage et m’obligeaient à me tenir courbé, je franchissais les portes du mystérieux séjour.
— Est-il possible, monsieur Blanchard ? s’écria Philippe ; quoi ! vous êtes entré là-dedans…
— J’y suis entré.
— Et vous ne me l’avez pas dit plus tôt !
— La narration a ses lois. Mes principaux effets eussent été perdus.
— Oh ! vous vous faites un jeu de mon anxiété.
— Patience, patience, dit tranquillement M. Blanchard.
— Mais alors, puisque vous êtes entré, vous avez vu…
— Personne, pour commencer.
— Personne !
— Peu de chose ensuite.
— C’est impossible !
— Ah çà ! vous ne me croyez donc pas ?
— Ce n’est pas ce que je veux dire, excusez-moi. Mais après tant de soins et de traverses, quel mince résultat !
— N’importe, j’étais dans la place. Ah ! monsieur Beyle, quel moment délicieux, quelle joie souveraine ! Si je ne m’écriai pas : Merci, mon Dieu ! comme dans les pièces du boulevard, c’est que l’idée ne m’en vint pas, car ce cri m’eût soulagé. J’étais dans la place. Ô triomphe ! Qu’il est bon de respirer cet air encore tout chargé des odeurs du danger et du souvenir des obstacles ! Je ne marchais pas, je rasais la terre, je glissais sous les arbres comme une vapeur ; je n’étais plus un jardinier,