Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/356

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l’heure de son coucher. Pour obtenir ce résultat, Geneviève doit empêcher la sieste de l’après-midi ; le diable seul sait ce qu’il en coûte, à cette pauvre servante, de vacarmes faits à dessein, de sonnettes agitées, de petits mensonges et de grosses supercheries. Tantôt c’est une pécheresse qu’elle amène presque par force au confessionnal ; tantôt c’est un malade à toute extrémité qu’elle imagine, et le bon curé de déranger en soupirant l’oreiller sur lequel il commençait à reposer sa tête, de revêtir son surplis ou de demander son chapeau pour courir à l’extrémité de la commune. Qu’au retour il gronde Geneviève pour ses étourderies et ses bévues, peu importe ! ce soir-là, il se couchera à neuf heures, et Geneviève ira au rendez-vous de la Franc-maçonnerie des femmes.

Soixante-deux ans, voûtée, le nez fiché dans la figure à la façon de ces morceaux de bois en angle droit qu’on enfonce dans les jouets de style primitif, la prunelle roulant perpétuellement dans l’orbite, la peau rougie, les lèvres minces, plus de cheveux, quelque chose comme un oiseau de proie, une nuance entre l’ensevelisseuse et le vautour, voilà cette grande femme — vue de face — qu’on appelle la veuve Brinois, et de la poche de laquelle vient de tomber un jeu de cartes. C’est une des plaies de l’association, une des hontes. Elle jouerait partout, elle jouerait presque sur l’autel. Pour elle, le monde, la famille ne datent que de l’invention des tarots ; la langue française ne sert qu’à annoncer le roi, la dame et le valet de carreau. Le sort l’avait unie à un mari avare, un luthier ; le sort l’en a débarrassée, en lui épargnant une grave reddition de comptes. Feu Brinois avait la coutume d’enterrer son argent, Mme Brinois avait la manie de le déterrer ; feu Brinois mettait ses bénéfices dans des tirelires qui sonnaient toujours le vide ; il apportait ses économies à des coffres-forts qui avaient une entrée et une sortie. Un jour, feu Brinois s’aperçut qu’il avait placé sa fortune