Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/48

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fortune suffisante, et mes désirs ne se meuvent que dans un milieu vraisemblable. On sait avec quel soin j’évite l’attention publique, et les efforts que je fais pour dérober mes actes aux indiscrétions des journaux. Je ne loue pas de salle de spectacle à moi tout seul ; je ne me mets pas obstinément à la suite des dompteurs de bêtes féroces, dans l’espérance de les voir dévorer par leurs pensionnaires ; je n’ai pas fait tailler de montagne à mon image ; je n’ai pas pris le turban comme M. de Bonneval, je n’ai mis le feu à aucun temple ; enfin, je suis ce qu’on appelle un homme de la vie privée, et c’est exclusivement dans la vie privée que je cherche mes sensations. Je ne tiens pas précisément à me divertir, ce serait là l’indice d’une ambition démesurée, mais je tiens à ne pas trop m’ennuyer, ce qui est plus modeste. Les jouissances matérielles ne sont que secondaires pour moi ; c’est dans l’ordre spirituel que s’agitent la plupart de mes caprices. En voulez-vous un exemple ? Un soir, dans un salon où cinquante personnes environ étaient réunies, je m’amusai à penser tout haut. Rare jouissance, n’est-ce pas ? plaisir inestimable ! Un quart d’heure après, un domestique vint me présenter mon chapeau, et j’avais fait autre chose cependant que de dire à quelques femmes qu’elles étaient laides et à quelques hommes qu’ils manquaient d’esprit.

Irénée ne put s’empêcher de rire.

— Il est à regretter, dit-il, qu’Hoffmann ne vous ait pas connu.

— Pourquoi ?

— Parce que bien certainement il aurait fait de vous le héros d’un de ses contes.

— M. de Trémeleu, vous êtes comme tout le monde : votre jugement s’arrête à la superficie. Vous me faites l’honneur de me trouver fantastique parce que j’outre le naturel. La science magnétique a été bien plus loin que moi dans la manifestation des phénomènes de la volonté.

— La science magnétique, oui. Mais en agissant tout éveillé, comme vous faites, les obstacles doivent se dresser devant vous à chaque pas.

— À chaque pas, c’est vrai, et c’est ce’ qui donne à ma vie