Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/52

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Irénée dit :

— C’est la première fois que je vois représenter la timidité avec des couleurs aussi âpres.

— Il n’est pas d’actes insensés que je n’aie accomplis, à cette époque, pour dompter ce mal bizarre, ironique, qui martèle sans profit toutes les fibres de la sensibilité, qui use inutilement toute énergie, qui détourne toute volonté, et dont sont mortes, j’en suis certain, bien des natures énergiques, pour qui la timidité a été ce qu’est une paille dans une barre de fer. Figurez-vous donc : sentir sa tête pleine d’éloquence, son cœur plein de passion, être capable de tous les héroïsmes, de toutes les grâces, de tous les esprits, raffoler des aventures, savoir que chez soi, en présence de sa glace, on a l’élégance de Molé et de Brummel, s’éblouir du feu de ses propres monologues… Et puis, vienne un témoin ou deux, plus rien, mais absolument rien ! Posséder les facultés les plus rares, et ne pouvoir toucher le ressort qui mettrait en jeu ces facultés. C’est plus que dérisoire, c’est infernal. Aussi, croyez-moi, l’homme qui réussit à étouffer la timidité entre ses bras, cet homme-là ne devra plus rien redouter au monde. Je vous parlais tout à l’heure des actions insensées que j’ai commises pour atteindre à ce résultat. Savez-vous qu’il m’arrivait quelquefois de monter dans la première maison venue, et, là, de frapper à une porte quelconque, d’entrer chez des gens que je ne connaissais pas, de m’y asseoir et de causer de tout ce qui me passait par la tête ! Ah ! certes, la volonté n’est pas un mot, je l’ai expérimentée de toutes les manières ; j’ai compris tout ce qu’avaient coûté au prince de Bénévent son masque pâle et son sourire glacé. Entre les hommes et moi, j’ai chassé les ombres que la timidité avait élevées patiemment et traîtreusement.

Pendant que M. Blanchard parlait ainsi, Irénée s’était penché sur l’appui de la fenêtre. Il suivait avec attention la marche de deux barques, qui semblaient se diriger vers l’Hôtel du Globe et des Étrangers. En ne se voyant plus écouté, M. Blanchard regarda Irénée pendant quelques minutes, silencieusement ; puis, allant à lui, il le toucha légèrement à l’épaule, comme o fait pour une personne que l’on veut réveiller.