Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/67

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Les époux Rupert vendirent Marianne. Ils la vendirent pour une certaine somme et pour un certain temps, c’est-à-dire jusqu’à sa majorité.

Jusqu’à sa majorité Marianne demeurait la propriété de l’éditeur de musique, qui se chargeait de l’élever, de la placer au Conservatoire, de contracter pour elle des engagements, de la lancer enfin, le tout à ses risques et périls. Mais aussi, tout ce que le talent de Marianne pourrait produire de bénéfices d’ici à l’expiration du traité, revenait de droit à l’éditeur de musique. C’était comme une terre qu’il affermait pour un certain laps d’années.

L’ idée pouvait être mauvaise - elle fut excellente, grâce à la vigoureuse et sincère organisation artistique de Marianne Rupert. Le marché pouvait être déplorable - il fut superbe ! On redoutait les maladies, la croissance. On fut ravi ; l’ élève grandit en pleine santé, et rien n’altéra sa voix pendant les années qui séparent l’enfance de la jeunesse. Une chose aussi, sur laquelle on n’avait pas compté, et qui vint surprendre délicieusement l’éditeur, ce fut le rapide développement de la beauté de Marianne. Hors de la mansarde paternelle, transportée dans un plus vaste milieu d’air, soumise à un régime approprié à sa nouvelle condition, elle se transforma tout à fait ; elle perdit ce cachet de souffrance et de gêne qui s’attache fatalement aux filles du peuple, fleurs des miasmes parisiens, gaietés malsaines des maisons noires. Sa tête, que l’habitude de la réprimande lui avait fait tenir courbée, se releva aux appels mystérieux et éclatants de son avenir. Ses cheveux étaient rares et courts, dépourvus de sève ; ils tombaient sous le peigne ou se cassaient dans la main ; en moins d’un an, ils s’épaissirent et se lustrèrent. Ses mains, que ne gerça plus l’eau seconde, acquirent une blancheur vivante. L’œil naquit pour la pensée, la bouche pour le sourire. Le corps entier s’élança, gracieux et puissant, comme sous le travail d’un statuaire invisible.

Dans les premiers temps, elle n’eut pas connaissance de sa beauté. L’éducation exclusivement artistique qu’elle recevait fut un bien moral pour elle.