Page:Monselet - Petits mémoires littéraires, 1885.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
petits mémoires littéraires

Janot dont on changeait tantôt le manche et tantôt la lame, et qui restait toujours le même couteau. Toutes les trois semaines, on ajoutait trois ou quatre tableaux à la Biche au bois, et le joyeux quadrupède repartait pour de nouvelles représentations.

À ce jeu-là, qui devait lui coûter si cher, Marc Fournier gagna le renom de premier metteur en scène de Paris. L’État, étonné, pensa un instant à lui confier la direction de l’Opéra. Que ne donna-t-on suite à cette idée ! Elle l’aurait sauvé… peut-être.

Quoi qu’il en soit, Marc Fournier subit pendant quelque temps l’enivrement de sa nouvelle position. Il remplaça l’air d’assurance qui lui était habituel par un air d’impertinence qui lui fut beaucoup reproché. Il donna des fêtes (on ne les lui reprocha pas) fastueuses, bruyantes, — dont quelques-unes furent présidées par une beauté du temps, madame Jeanne de Tourbet. Marc Fournier crut dès lors à la perpétuité de son étoile.

Ce train dura une douzaine d’années environ. Puis, l’heure arriva où la Biche au bois n’eut plus d’action sur le public. Les marchands d’argent guettaient Marc Fournier ; ils en firent leur victime. Il se débattit longtemps entre leurs mains ; j’ai assisté aux derniers épisodes de son agonie. C’est à dégoûter du métier de directeur de théâtre !

On sait la fin, le désastre fut complet. Marc Fournier en demeura étourdi pour longtemps. Lorsqu’il revint à sa plume pour vivre (la nécessité en était absolue), il s’aperçut qu’il était oublié comme écrivain ; il dut accepter ou chercher des collaborations pour ses nouveaux romans.

Lors de la guerre, d’Ennery lui offrit l’hospitalité dans