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sants, et son apparition dans le monde littéraire sous ce mystérieux demi-masque d’hermaphrodite qui devait tant ajouter à sa renommée. Je vais de prime abord, avec une curiosité d’adolescent, à cette date lumineuse, à ces débuts qui ne ressemblent à aucun autre, à cette explosion de jeunesse, de passion et de style. Cette figure énigmatique a un attrait singulier pour moi ; je me sens si loin de la femme de lettres convenue, de la pédante ou de la minaudière !

Il y a plusieurs portraits de George Sand à cette époque. Un d’entre eux, le plus populaire, la représente en costume d’homme, une cravate de foulard lâche autour du cou. La figure est pleine, les yeux sont grands et dilatés, le menton est charnu ; ce pli auquel on a donné le nom de collier de Venus, coupe un cou puissant. La gravité et la sérénité dominent dans cette physionomie toute d’exception, où la grâce féminine n’apparaît qu’au second examen. C’est une tête qui pense, et surtout une tête qui voit.

Ajoutez au bas de ce portrait un nom d’assassin : Sand.

Je ne m’étonne pas que les bourgeois du règne de Louis-Philippe en aient été effarouchés, et que les mères de famille se soient serrées d’effroi les unes contre les autres. Tel de ses chefs-d’œuvre a été fatalement obscurci par la fumée de sa cigarette légendaire. Au dire des bonnes gens, la queue du diable devait frétiller sous son pantalon. Et puis, il faut dire tout : la cravate de George Sand était rouge.

George Sand était républicaine.

Il y a des génies de formation successive et progressive. On doit reconnaître que George Sand n’a pas été