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petits mémoires littéraires

que je n’en pourrais dire, car je n’en ai que la vision incertaine d’un souvenir déjà lointain.

Si des sommets nuageux de l’illuminisme (qui ne les gravissait alors, témoin Balzac avec Seraphita ?) nous redescendons dans le milieu complètement mondain de la plupart des romans de George Sand, de combien d’autres influences n’y trouvons-nous pas la trace ? Une des plus accusées peut-être, sans être la plus importante, est celle qu’y ont laissée les comédiens et les comédiennes. Avec un enthousiasme souvent puéril, elle a subi leur fascination. Trente-sept ans après la première représentation de Lucrèce Borgia, elle écrivait les lignes suivantes :

« Je me souviens que j’étais au balcon, et le hasard m’avait placée à côté de Bocage, que je voyais ce jour-là pour la première fois. Nous étions, lui et moi, des étrangers l’un pour l’autre ; l’enthousiasme commun nous fit amis. Nous applaudissions ensemble ; nous disions ensemble : Est-ce beau ! Dans les entr’actes, nous ne pouvions nous empêcher de nous parler, de nous extasier, de nous rappeler réciproquement tel passage ou tel scène. Il y avait alors dans les esprits une conviction et une passion littéraires qui tout de suite vous donnaient la même âme et créaient comme une fraternité de l’art. À la fin du drame, quand le rideau se baissa sur le cri tragique : Je suis ta mère ! nos mains furent vite Tune dans l’autre. »

Elle était allée aussi du premier jour à Madame Dorval ; c’était immanquable.

« J’avais publié seulement Indiana, quand, poussée vers Madame Dorval par une sympathie profonde, je lui écrivis pour lui demander de me recevoir. Je n’étais nullement célèbre, et je ne sais même pas si elle avait