Page:Monselet - Petits mémoires littéraires, 1885.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
petits mémoires littéraires

deux avaient sur l’argent les mêmes idées, — et ils ont fait de l’argent l’un le pivot de sa littérature, l’antre le pivot de son existence.

Quel portrait Balzac aurait fait de M. Blanc ! L’air rusé, tranquille, les lunettes d’or à demi tombantes sur le nez, l’impertinence nichée au coin des lèvres, le menton ferme, le geste rare, la parole trempée dans cet accent provençal qui donne aux moindres paroles un ton de despotisme et de raillerie, et cette démarche toujours pressée qui n’admet aucun importun à sa suite, — tel était M. François Blanc, le directeur du Casino de Monte-Carlo.

Il avait de l’esprit, doublé d’une méfiance acquise au contact de toutes les intelligences européennes, grandes et moyennes. Les petites, il n’a jamais daigné s’en soucier. Accessible comme les Rothschild, M. Blanc avait comme eux cette absence d’illusions qu’engendre une longue habitude administrative.

Il ne croyait qu’aux chiffres, mais il y croyait avec une rare supériorité et avec une lucidité de savant.

M. François Blanc, avant d’être directeur du Casino de Monte-Carlo, était directeur du Casino de Hombourg. Progressivement et sagement, il l’avait mis sur un très beau pied. Si M. Renazet était le Louis XIV de Bade, comme le lui disaient ses flatteurs, M. Blanc, — qui a toujours eu les flatteurs en grippe, — était le Colbert de Hombourg.

Pour moi, je n’ai jamais raffolé de ce lourd Kursaal qui avait quelque chose d’un grand pénitencier.

Cependant, M. Blanc avait su y attirer toute l’Europe. C’est à Hombourg qu’il jeta les assises d’une fortune qu’on a évaluée à près de quatre-vingts millions.