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petits mémoires littéraires

Courageux, ambitieux, laborieux, on peut le résumer en ces trois mots. Ajoutez : ivre de gloire, et même de gloriole. Que voulez-vous ? Tout le monde n’a pas la réserve faroucbe d’Eugène Delacroix, par exemple. Meissonier a besoin d’habiter un palais ; Delacroix se contentait à meilleur marché ; — mais Delacroix ne faisait pas aussi petit que Meissonier. Faire petit, cela est aussi glorieux que difficile. Le talent se double ici du tour de force.

On a mis sur le compte de M. Meissonier un assez grand nombre d’anecdotes plus ou moins authentiques. La comtesse Dash, entre autres, a raconté la suivante, en la recommandant comme un trait du caractère à la fois énergique et original de notre peintre.

« L’année dernière, il s’en alla à Dresde ; il ne pouvait y rester que vingt-quatre heures pour voir le musée. Il s’y présenta ; les galeries étaient fermées. En vain invoqua-t-il son titre d’étranger, de peintre, on fut impitoyable. Il fallait adresser une demande au directeur des beaux-arts, et cela exigeait plus de temps qu’il n’en avait à sa disposition. S’il se fût nommé, toutes les portes se seraient ouvertes devant cette gloire européenne. Il n’en fit rien, parce que, selon lui, sa qualité d’artiste suffisait, et on ne lui devait pas plus qu’à un autre. Il partit sans avoir admiré les chefs-d’œuvre dont la Saxe est si fière. »

Est-ce que vous croyez beaucoup à ce « trait de caractère » ? Et, si vous y croyez, est-ce que vous l’admirez autant que l’admire cette naïve Madame Dash ? N’y voyez-vous pas plutôt une boutade d’enfant têtu, qui tape du pied parce qu’on lui refuse sa tartine, et qui ne veut pas prononcer les paroles qui la lui feraient obtenir tout de suite ?

Les critiques passent par-dessus la tête de M.  Meis-