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petits mémoires littéraires

pathique à l’œuvre de 93. Salvandy eut un effet de toupet irrésistible ; il prit véhémentement la défense de Lemercier et s’exprima en ces termes :

» À aucune époque de sa vie il n’aurait fallu lui parler de la grandeur de cette époque servile et abominable. Il n’aidmettait pas qu’en s’entassant les crimes se grandissent. Il n’eût pas consenti davantage à entendre tout rejeter sur le compte de Dieu, qui ne commande pas tout ce qu’il permet ; argument plein de péril, vous eût-il dit. Enfin, vous l’auriez vu, comme nous, se soulever contre cette excuse, trouvée après coup, que les attentats révolutionnaires fussent provoqués par les périls de la France et justifiés par son salut…

» Non ! non ! n’essayons pas d’attacher à cette funeste année 1793 une auréole de gloire. Elle n’a rien conquis. Elle n’a point vaincu. Dieu n’a pas permis qu’à côté des crimes elle comptât autre chose que des malheurs. Voilà l’histoire. Les lettres qui, dans leur région sereine, n’ont à flatter aucune passion et aucun régime, doivent à ce peuple libre qui nous écoute, la vérité sur une époque où il n’y eut rien de sublime que des victimes, rien d’auguste qu’un échafaud, rien de surnaturel que la férocité ! »

En parlant ainsi, M. de Salvandy crut sans doute avoir foudroyé M. Victor Hugo.

Il ne connaissait pas la ténacité du nouvel élu ; il ne se doutait pas que, — ce vague souvenir académique aidant, — M. Victor Hugo, trente-trois ans plus tard, compléterait son discours de réception par un ouvrage en trois volumes, portant au fronton de ses pages ce titre, audacieux comme un défi, calme comme une conviction : Quatre-vingt-treize !

Le reste du discours de Salvandy ne se maintint pas