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qu’il insulte. Lorsqu’un honnêtu homme a le malheur de nourrir dans son cœur et de manifester publiquement de pareilles haines, il doit, s’il est attaché au service de l’État, rompre les liens d’un serment dont la violation est flagrante et renoncer à des fonctions qu’il reproche si amèrement à autrui.

« M. de Laprade ayant trop oublié ce devoir, je n’hésite pas à lui en rappeler toute la moralité. C’est pourquoi. Sire, j’ai l’honneur de proposer à Votre Majesté le décret ci-joint, qui révoque M. de Laprade de ses fonctions de professeur à la faculté des lettres de Lyon.

Je suis avec le plus profond respect, Sire, etc. »

Une fois libre, M. Victor de Laprade se livra tout à son aise à sa verve satirique. Les occasions de brandir son fouet ne lui manquèrent pas ; il le brandit jusque sur le parvis du Théâtre-Français. Mais c’est toute une aventure, qui mérite d’être racontée en détail.

C’était à l’époque du Fils de Giboyer, cette comédie de M. Émile Augier qui fit tant de train, et dans laquelle le ridicule était versé à pleines mains sur les vieux partis politiques, sur les chouans de salon, sur « les Montmorency, les La Trémouille et les La Frétintaille », sur les cléricaux aussi. La pièce, remplie de violences et de personnalités, se produisit au moment où le pouvoir se montrait le plus rigoureux envers la presse et où quelques journaux venaient même d’être supprimés. On reprocha vivement à M. Augier de s’en prendre à des gens hors d’état de lui répondre. M. Victor de Laprade ne fut pas le dernier à s’émouvoir ; il fulmina dans le Correspondant une nouvelle satire qu’il intitula : la Chasse aux vaincus.