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petits mémoires littéraires

Pigault-Lebrun, comme tous les vieillards, adorait ses petits-enfants, et particulièrement son petit-fîls Émile Augier. Lorsqu’il ne lui faisait pas répéter ses leçons (Émile suivait les cours du collège Henri IV), il lui bâtissait des paysages dans une grande caisse placée sur l’appui de sa fenêtre :

Car, quand on est très vieux, on devient très enfant.

Un jour, le matin, de très grand matin, dès sept heures, Pigault-Lebrun, au bras de sa fille, arriva chez un ami, et, sans lui laisser le temps de s’étonner, en proie à une agitation extraordinaire :

— Je vous dérange peut-être, lui dit-il ; mais c’est que j’ai une grande nouvelle : mon enfant, mon Émile, a un second prix de version grecque !

Les yeux du digne homme étincelaient au milieu de ses rides ; la tête appuyée sur sa canne, il guettait l’effet de ses paroles sur l’ami.

— Et vous ne savez pas ? reprit-il presque aussitôt : j’ai quelque chose à vous demander… Il me faut du carton… j’en ai cherché chez moi de la cave au grenier ; en avez-vous ?

L’ami trouva un vieil almanach.

— C’est parfait ; voilà mon affaire ! dit Pigault-Lebrun ; je veux que ma fille peigne là-dessus des fleurs au milieu desquelles on écrira : Deuxième prix de version grecque, remporté par Émile Augier au concours général le 30 juillet 1834. Ce tableau sera placé en face de mon chevet ; je le verrai là tous les matins… en attendant un premier prix.

Ce premier prix arriva, en effet, mais il arriva quelques heures trop tard pour le bon Pigault, qui s’éteignit le 24 juillet 1835.