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petits mémoires littéraires

Sauf la Ciguë et l’Homme de bien, ses deux pièces de début, je ne crois pas avoir manqué dans ma vie une seule première représentation de M. Émile Augier. Je suis donc dans les meilleures conditions pour renseigner le lecteur sur cet auteur dramatique, et pour fixer, avec une certaine précision, le degré de curiosité ou de sympathie qu’il a chaque fois déterminé dans le public. Il n’est rien de tel que de s’être « trouvé là ».

Le voyage rétrospectif que j’entreprends à travers ses œuvres a pour moi quelque chose de l’attrait des souvenirs personnels. Et pourtant je me suis rencontré deux ou trois fois à peine avec M. Émile Augier. Mais qu’est-il besoin de connaître personnellement un écrivain pour vivre de sa vie intellectuelle et pour pénétrer intimement dans sa pensée ?

Or, le 23 mars 1848, c’est-à-dire un mois après la révolution de Février, et l’agitation durant encore, j’allais m’asseoir à l’orchestre de la Comédie-Française, — si je ne me trompe : du théâtre de la République, — pour assister à la première représentation de l’Aventurière. L’auteur, M. Émile Augier, était loin d’être un inconnu ; quatre ans auparavant, le succès très légitime de la Ciguë avait jeté son nom à la foule, qui devait le retenir. L’Aventurière ne réussit pas moins, devant un public presque exclusivement composé de lettrés, car il n’y a guère que les lettrés qui aillent au théâtre en temps de révolution. On y reconnut un pastiche alerte et pittoresque du xviie siècle (le xviie siècle de Jodelet et de Don Japhet d’Arménie), avec une dose surabondante d’émotion fournie par le xixe. Dès lors, pour nous autres, la place de M. Augier fut faite au théâtre, et nous fondâmes les plus grandes espérances sur son talent naissant.