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petits mémoires littéraires

M. Buloz, que j’ai souvent vu depuis, n’avait rien de séduisant au premier aspect, — ni même au second. Il était borgne et sourd. C’était un homme de haute taille, mais voûté, d’une charpente à toute épreuve ; un de ses coups de poing aurait été terrible (il en a donné quelquefois, à ce qu’on raconte dans les imprimeries). L’expression générale de sa physionomie était sombre, rude, inquiète. Sa voix était un grognement perpétuel. Il avait des hein qui faisaient rentrer sous terre les nouveaux venus et qui causaient des tressaillements à son secrétaire sensitive, M. de Mars.

Comment, avec de telles manières et avec une intelligence littéraire qui était loin de se révéler de prime abord, comment un pareil personnage parvint-il à enrégimenter les meilleurs et les plus célèbres écrivains de son époque ? C’est ce que je m’explique difficilement. Il est venu à temps ; il a été le premier et le seul. Il a eu de la ténacité et de l’esprit de suite. Mais il aurait tout aussi bien réussi dans la bonneterie ou dans la quincaillerie.

Quelques-uns de ces écrivains, il est vrai, se sont offusqués au bout de quelque temps. Balzac, le premier, a levé l’étendard de la révolte, — ainsi que je l’ai raconté, — il ne voulait pas être traité à la russe, et il gagna contre Buloz ce procès que Buloz ne devait jamais lui pardonner, — car l’irascibilité était un des principaux défauts de celui qu’on appelait déjà l’autocrate de la Revue des Deux-Mondes.

Plus tard, Alexandre Dumas, Philarète Chasles, Sainte-Beuve, Pontmartin se sont dérobés tour à tour à ce despotisme sans élévation.

Voici l’opinion de l’auteur des Odeurs de Paris sur François Buloz :