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petits mémoires littéraires

M. Buloz inspire, dirige, corrige, rature, modifie les matadors de l’esprit contemporain ; et les plus fiers ne sont ou n’ont été que les truchements de sa pensée. Or, M. Buloz n’a pas de pensée ! Et voilà quarante ans tout à l’heure que cela dure. »

On s’est quelquefois moqué de ce Croquemitaine.

Ecoutez Théodore de Banville, — qui n’a jamais écrit à la Revue des Deux-Mondes — écoutez-le fredonner la Villanelle de Buloz dans un coin des Odes funambulesques :

J’ai perdu mon Limayrac :
Ce coup-là me bouleverse.
Je veux me vêtir d’un sac.

Il va mener en cornac
La Gazette du commerce.
J’ai perdu mou Limayrac.

Mon Limayrac sur Balzac
Savait seul pleuvoir à verse.
Je vais me vêtir d’un sac ……

Limayrac était le plus petit des rédacteurs de Buloz.

Tant qu’on se contentait de le chansonner, Buloz laissait faire ; mais il n’entendait pas raillerie dès qu’on allait plus loin.

Il fit condamner Barhey d’Aurevilly pour deux articles, qui d’ailleurs ne laissaient rien à désirer sous le rapport de l’empoignement. C’était radieux d’impertinence. On sait avec quelle désinvolture l’auteur des Diaboliques, dès qu’il a retroussé ses manchettes, s’entend à administrer une raclée à ses adversaires. Buloz se frotta longtemps les épaules.

Si affaire et si homme du Danube qu’il fit, M. Buloz avait un salon ; il recevait, il donnait des dîners quelquefois. Ces jours-là, il s’essayait à faire le beau.