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petits mémoires littéraires

« J’étais à souper chez Buloz le jour des Rois, — écrivait Alfred de Musset à son frère en 1843 ; — toute la Revue s’y trouvait, plus Rachel. C’était un peu froid ; on aurait dit un dîner diplomatique. Le hasard facétieux a donné la fève à Henri Heine, qui a fait semblant de ne pas savoir ce qu’on lui voulait, de sorte que le gâteau, sur lequel la maîtresse de la maison devait compter pour égayer la soirée, a été pour le roi de Prusse. Heureusement, Chaudes-Aigues s’est grisé, ce qui a rompu la glace. »

Musset était le Benjamin de Buloz, qui lui passait bien des choses.

Théophile Gautier avait aussi le pouvoir de le dérider par ses propos de haute graisse. Ce qui n’empêcha pas Buloz de lui réclamer par voie judiciaire le Capitaine Fracasse, — que l’indolent Théo lui avait promis depuis dix ans et sur lequel il avait touché trois mille francs.

— Rendez l’argent, au moins ! lui criait l’implacable Savoisien.

De Marseille, où il se trouvait alors, le banquier Mires entendit cette grosse voix, et il écrivit immédiatement à son caissier de Paris ce billet, pour lequel il lui sera beaucoup pardonné, et qui mérite de transmettre son nom aux âges les plus lointains :

« Tirez Gautier des griffes de Buloz ! »

Ce qui fut fait.


Lors de mes premières années de séjour à Paris, un ami m’emmena diner dans une table d’hôte d’une maison meublée de l’ancienne me Copeau, aujourd’hui rue Lacépède. Un quartier lointain et pétrifié, où l’herbe