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ment dirigés, — selon les besoins de l’époque, — par MM. Bertin, ces grands maîtres du journalisme. Ses débuts avaient été des articles de fantaisie (dans le sens le plus sage du mot), des lettres datées d’un peu partout, selon les hasards de ses pérégrinations officielles. Sa position particulière dans le monde lui créa bientôt une position particulière dans le journal : il y représenta l’esprit moderne, rôle difficile, qui exige bien des dons et bien des aptitudes ; il fut le trait d’union entre les salons parisiens et les bureaux de la rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois ; il se tint au courant de tout avec sa curiosité un peu fébrile. Cette prétention à être bien de son temps (en dépit de ses tendresses pour le passé), à vivre de la vie de son époque, à se mêler aux luttes écrites ; ce besoin de jeter son fer, si mince qu’il fût, dans la balance des intelligences ; cette ambition et ce besoin, M. Cuvillier-Fleury les a toujours eus.

La révolution de 1848 lui causa une secousse étrange. L’heureux homme ne l’avait pas prévue. Aussi la stupeur dont il fut saisi ne peut-elle s’imaginer. Il ne pouvait en croire ni ses yeux ni ses oreilles. « Erreur ! malentendu ! surprise ! coup de main ! » allait-il criant. Il ne voulait pas se rendre compte du travail des idées pendant dix-huit ans de conspirations ; il se refusait à admettre toute préméditation sociale. Le monde est un mauvais observatoire pour voir venir les révolutions. De son point de vue, resserré dans le cercle de ses affections et de ses intérêts, M. Cuvillier-Fleury n’avait rien aperçu au-dessus ni au delà du gouvernement de Louis-Philippe. Il le croyait éternel.

Lorsqu’il fut revenu d’un coup qui modifiait si profondément son existence, il entreprit une campagne en règle contre les idées et les hommes révolution-