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gnon de son père, le prenait souvent sur ses genoux et lui récitait des centaines de vers de l’Enéide, avec une voix enthousiaste, aux belles vibrations italiennes. Cette éducation en vaut bien une autre. Il eut une enfance et une jeunesse heureuses ; on ne contraria pas ses goûts : de là ce caractère de bonté qui, de sa vie, se répandit sur ses écrits, ce calme, cette douceur et cette assiette morale qui a fait dire de lui : « On peut le lire en famille. »

Une autre chose qui contribuait à entretenir en lui le goût des lettres, c’étaient les nombreux passages de littérateurs, — j’entends passages, à la façon des hirondelles, — que Marseille voit se succéder, grâce à sa situation géographique. Tantôt, c’était Lamartine, à la veille de son voyage en Orient ; tantôt, c’était Alexandre Dumas, en train de découvrir la Méditerranée. On pense si le jeune Autran s’empressait pour saluer ces écrivains célèbres, qui déjà partageaient son admiration avec les navigateurs. Il faisait des feuilletons dans un journal de la ville, qui ne sentaient pas du tout l’écolier ; bientôt la grande famille littéraire et artistique s’habitua à voir en lui son correspondant à Marseille. Jules Janin lui adressait ses comédiens et ses comédiennes protégées ; Théophile Gautier lui recommandait des peintres. En allant et venant sur la route d’Italie, Franz Liszt s’arrêtait pour lui serrer la main et passer avec lui une de ces bonnes soirées auxquelles ne manquait aucun genre de prestige, s’il faut s’en rapporter à ces vers, écrits bien des années après :

Je t’écris ce mot, de la même plage
Où jadis, un soir, vers le bord du flot,
Tu faisais chanter, — c’était le bel âge ! —
Un de ces claviers que fait Boisselot.