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petits mémoires littéraires

rures de corail, les mille riens exotiques, rapportés en cadeaux par leurs maris ou leurs frères ; tout cela dans de petits salons au rez-de-chaussée, décorés de trois ou quatre peintures au lavis, bricks et goélettes à la voile, qu’un pinceau scrupuleux orna de tout l’appareil de leurs agrès.

» Sans être marin de profession, mon père avait accompli dans sa jeunesse plusieurs grandes navigations. Ni l’Inde ni les Amériques ne lui étaient inconnues. Quoique redescendu de bonne heure au rivage, il avait gardé de ses lointains voyages une sympathie constante pour les gens de mer, et de nombreuses relations parmi eux… Non seulement la mer occupait autour de moi toutes les pensées, résonnait dans toutes les paroles, elle était aussi l’éternel et unique spectacle de mes yeux. J’en étais si rapproché que le moindre vent jetait jusque dans ma chambre la poussière saline de ses flots et que j’entendais, la nuit, de mon alcôve, même dans les plus grands calmes, le bruit de sa respiration haute et large. Sans cesse regardée, admirée sous ses mille faces, la mer fut donc pour moi quelque chose d’assez semblable à une première passion de la vie[1]. »

Quelle meilleure entrée en matière que cette page exquise où M. Autran s’est montré aussi poète en prose qu’il savait l’être en vers ! On aurait besoin de beaucoup de préfaces comme celle-ci pour pénétrer immédiatement dans le sentiment d’une œuvre, et pour connaître de la vie intime d’un auteur ce qu’il importe tout juste d’en connaître.

Dans un tel milieu, l’âme de Joseph Autran s’ouvrit vite à la poésie. Un capitaine génois, ancien compa-

  1. Préface nouvelle des Poèmes de la mer ; édition des Œuvres complètes.