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petits mémoires littéraires

écrivit en une nuit cette pièce qui s’appelle la Curée :

Oh ! lorsque le soleil chauffait les grandes dalles
Des ponts et de nos quais déserts.
Que les cloches hurlaient, que la grêle des balles
Sifflait et pleuvait par les airs…

La Curée faite, il fallait la faire arriver au public. Véron venait de fonder la Revue de Paris. M. Barbier, qui ne le connaissait pas, demanda une lettre d’introduction à Alphonse Royer, et se présenta, la Curée en poche. Véron la prit, sans en avoir les mains brûlées.

— Repassez dans quelques jours, dit-il au jeune homme.

— C’est que… c’est de l’actualité, hasarda celui-ci.

— Bien, bien, je verrai cela.

Quelques instants après, Henri de Latouche, un homme de beaucoup d’esprit et de goût, qui n’était pas encore le misanthrope qu’il devint plus tard, entrait chez Véron.

— Tenez, lui dit ce dernier, faites-moi donc le plaisir de jeter les yeux sur ce morceau que Royer me recommande.

— Ah ! mon cher ami, s’écria Latouche, il faut envoyer cela tout de suite à l’imprimerie.

— Bah ! dit Véron ; qu’est-ce que c’est donc ?

— Je ne sais pas trop, mais cela ressemble terriblement à un chef-d’œuvre.

Quelque confiance que Véron eût dans le jugement de Latouche, le ton de la Curée lui parut tellement inusité qu’il ne se décida à la faire paraître qu’en l’accompagnant d’une note pour dégager la responsabilité politique de la Revue.

On sait l’effet immense que produisit cette œuvre chaude de poudre, — à laquelle on pourrait peut-être