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petits mémoires littéraires

On ne saurait mieux penser ni mieux dire. Et pourtant, je suis loin de nier les inégalités de quelques-unes des compositions de Barbier ; elles m’étonnent. Voici, par exemple, des vers qui résument ses qualités et ses bizarres défauts. Il s’agit d’Arnold de Winkelried :

Qui rompra cet amas de lances et de piques,
Celte forêt d’airain qui s’avance sur nous ?
Dans cet épais carré d’armures germaniques,

Qui fera pénétrer la vigueur de nos coups ?
 
Moi ! moi ! dit Winkelried, et le bon capitaine

Comme un fort moissonneur que l’on voit dans la plaine
Presser les épis mûrs contre son sein voûté,
De lances en arrêt le plus qu’il peut embrasse,
Tombe, et par le grand trou qu’il ouvre dans la masse,
Fait passer la victoire avec la liberté !

Le vers que j’ai souligné est impossible ; mais quel superbe mouvement dans les derniers ! Le sublime y est atteint.

Auguste Barbier a beaucoup écrit, plus qu’on ne croit, plus qu’on ne veut s’en souvenir. Il a fait des nouvelles à la Revue des Deux-Mondes, des notices, un Salon. Il a traduit le Jules César de Shakspeare, et écrit, pour Berlioz, un opéra, Benvennuto Cellini, qui est resté légendaire dans les annales de l’Académie royale de musique.

Longtemps Barbier a hésité avant de se présenter aux suffrages des Quarante. Son indépendance lui était chère. Enfin, un jour, vers 1869, il s’arma de résolution et commença ses visites par Sainte-Beuve, avec lequel il avait été très lié autrefois, — comme avec tous les hommes distingués de 1830.