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petits mémoires littéraires

Dire que le baron Taylor était accessible à tous, même aux plus petits, ce n’est pas dire assez. Quelque chose qu’on eût à lui demander, on était toujours certain de sortir de chez lui satisfait. Personne n’était plus heureux de rendre un service. Et lorsqu’il y avait urgence, il bondissait de joie. — Je l’ai vu, toute affaire cessante, envoyer chercher un fiacre, y monter avec un visiteur nécessiteux, se faire conduire de ministère en ministère, et ne reprendre haleine qu’après avoir mis trois ou quatre billets de banque de cent francs dans la main de ce visiteur.

Taylor a poussé la philanthropie jusqu’à la furia. Il en a fait son idée lixe, son objectif de toutes les minutes. Vincent de Paul et M. de Montyon ont été dépassés. On n’a pas obligé son prochain avec un entrain plus persistant.

Certains esprits gouailleurs ont dit de lui : « C’est un homme qui veut avoir un bel enterrement ! » Possible. Une telle ambition, d’une étrangeté si exceptionnelle, n’est pas à la portée du premier venu. Pourtant, par une circonstance fortuite (un temps exécrable), il ne l’a pas eu, ce bel enterrement qu’il avait pu rêver, à force d’en suivre et d’en conduire.

Que de morts, en effet, plus ou moins illustres, il a accompagnés, le pauvre baron Taylor ! La savait-il assez, cette route du Père-Lachaise, et aussi cette route du cimetière Montmartre, et la route du cimetière Montparnasse ! Dès qu’une célébrité de la plume ou du pinceau, du barreau ou de la tribune prenait cette triste route-là, dès que le char funèbre s’ébranlait, le baron Taylor se trouvait tout désigné par l’opinion publique pour obtenir un des glands du cercueil. Et cette même Opinion publique ne le laissait pas quitte à si bon marché ; elle exigeait davantage