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petits mémoires littéraires

me navre ; il craint une fluxion de poitrine. Déjà j’ai un poumon pris. »

Encore : « Viens de bonne heure, à ta première sortie. Le poumon gauche ne se prend pas ; le temps s’adoucit, je suismoins inquiet ; mais quelle maigreur ! Il m’est interdit de parler, mais le peu que je parlerai ce sera pour toi. »

Toute cette correspondance est d’un accent profondément douloureux, Jules Lecomte insiste sur ce silence qui lui est recommandé. « Si tu as besoin de me parler, quand même je ne pourrais pas te répondre, viens toujours. »

Il apprend que c’est le docteur qui empêche les visites trop fréquentes d’Albéric. « Ne l’écoute pas, viens, tu parleras seul. »

Les jours du pauvre chroniqueur étaient comptés. La dernière fois que devait le voir Albéric Second (il était accompagné d’Arsène Houssaye), il le trouva étendu sur son canapé, comme d’habitude, tout habillé. Les paroles expiraient sur ses lèvres décolorées ; un sifflement aigu soulevait sa poitrine haletante. Les deux amis, en pressant sa main, crurent presser un fer rouge.

Il avait pu, du moins, écrire jusqu’à la fin. Quatre heures avant sa mort, qui eut lieu le 22 avril 1864, il murmurait :

— Yriarte est-il venu chercher ma copie pour le Monde illustré ?… elle est prête.

Ainsi tomba, jeune encore (il avait cinquante ans), cet homme qui a tenu une place très particulière dans la littérature. Il eut à ses obsèques non pas la foule, mais un groupe de confrères recueillis et silencieux. Quand on ouvrit son testament, ou y lut cette